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Apparemment, et c'est heureux, l'alliance entre trotskistes et islamistes fait débat au sein de la LCR.
Témoin l'article de ce militant, Christian Picquet qui dénonce la vision totalitaire du Hamas que d'autres militants appellent à soutenir sans condition. le rappel de la charte du Hamas signée en 88 n'est pas inutile...

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La victoire du parti islamiste aux législatives du 25 janvier, en Palestine, a interpellé le mouvement international de solidarité. Dans « Rouge » du 23 février, Nicolas Qualander livrait son point de vue. Christian Picquet lui répond ici.
Souvent, confrontée à des forces idéologiquement réactionnaires qui en venaient à défier l’ordre établi en s’appuyant sur l’exaspération des opprimés, la gauche révolutionnaire a tenté de se rassurer en cherchant une dynamique cachée à ces processus. La désillusion fut presque toujours à la mesure de terribles désastres. Nicolas Qualander nous propose pourtant, à son tour, une approche des plus unilatérales de la victoire du Hamas.
Sans doute, le Mouvement de la résistance islamique ne s’assimile-t-il ni aux talibans, ni à Al-Qaida. Quoique les gouvernements d’Israël aient initialement favorisé son développement pour affaiblir l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), il se sera progressivement imposé comme une alternative au Fatah créé par Yasser Arafat. Un Fatah sorti discrédité de sa gestion de l’autonomie en trompe-l’œil concédée aux Palestiniens par les accords d’Oslo, de son impuissance à relever les défis de la colonisation accélérée de la Cisjordanie et de Jérusalem, de son incapacité à faire face à l’étouffement de la perspective d’un État palestinien, de la corruption de ses élites, de sa déliquescence interne.
De ce point de vue, le succès du Hamas illustre le refus de tout un peuple de renoncer à sa souveraineté. Son enracinement social aura été tout à la fois favorisé par le prestige retiré de ses actions militaires contre Israël, par sa cohésion politique et organisationnelle, par sa probité revendiquée, par la mise en place d’un système de secours islamique, fondé sur des financements en provenance du monde musulman, lequel sera apparu comme une réponse à la paupérisation de la Palestine.
Vision totalitaire
Faut-il cependant dissocier l’analyse du verdict des urnes palestiniennes du projet de société défendu par le parti islamiste ? Ce serait s’aveugler sur le sens de l’événement. Un simple coup d’œil sur sa charte, adoptée en 1988, révélera une vision totalitaire du monde. Filiation revendiquée avec les Frères musulmans (article 2) ; volonté d’instaurer une « Palestine islamique » (article 27) ; affirmation que la « paix n’est possible que sous la bannière de l’islam » (article 31) ; assertion selon laquelle est « nulle et non avenue » toute « procédure en contradiction avec la Charia islamique » (article 11) ; postulat selon lequel « il n’existe pas de solution à la question palestinienne excepté le Djihad » (articles 13 et 15) ; statut des femmes assimilé à celui de l’esclave (article 12) et ramené aux tâches familiales ou à l’éducation des enfants pour « les préparer au rôle de combattants » (article 18) ; dénonciation des Juifs comme ayant été derrière « la Révolution française, la révolution communiste et toutes les révolutions » (article 22) et allant jusqu’à une référence au Protocole des sages de Sion, le célèbre faux antisémite (article 32) ; appel à la mort des Juifs justifiée par la promesse divine (article 7) : telles en sont quelques dimensions saillantes.
Nicolas Qualander chausse, par conséquent, de singulières lunettes lorsqu’il crédite cette organisation, « au contraire du Fatah », d’un « fonctionnement relativement démocratique ».
Que le Hamas ait d’abord bâti sa fortune électorale sur son aptitude à incarner, mieux que ses concurrents, la revendication nationale, plutôt que sur son dessein d’islamisation de la Palestine, est une chose. En conclure que son programme politique n’aurait rien à voir avec sa démarche fondatrice revient à berner le lecteur... ou à se berner soi-même. Ainsi, la triple dawa - religieuse et panislamique, nationaliste et arabiste -, évoquée pour justifier l’analyse d’un mouvement à la réalité complexe et au devenir incertain, n’est que la reprise de l’article 14 de la charte : « La question de la libération de la Palestine est liée à trois cercles : le cercle palestinien, le cercle arabe et le cercle islamique. »
Un tournant historique
Vraisemblablement, traversé de contradictions qu’aiguisera nécessairement son accession aux affaires, ce parti devra-t-il composer, s’ouvrir à d’autres composantes, faire preuve de pragmatisme en matière de diplomatie. Il n’empêche ! Le simple fait que l’aspiration des Palestiniens, et leur désespoir, se soient traduits dans un tel résultat, donne la mesure d’une impasse. Comme le relevait Michel Warschawski dans ces colonnes1, nous sommes là en présence d’une « terrible défaite de la lutte pour un État laïque et démocratique ».
On doit même ajouter que la population des territoires n’y gagnera rien sur le plan de ses conditions d’existence. Partout, dans l’aire arabo-musulmane, l’islamisme politique partage, en effet, avec les néolibéraux de Washington ou de Tel-Aviv, une commune valorisation de la libre entreprise et de la culture managériale, la religion, la morale et les œuvres étant appelées à se substituer à l’action redistributive de l’État. Le (petit) business palestinien n’aura d’ailleurs pas tardé à faire le siège des vainqueurs pour les convertir à l’idée d’une ouverture accrue au marché...
Indéniablement, l’ascendant pris par le Hamas sur la scène palestinienne ouvre un nouveau cycle historique à l’échelle de toute la région. Non, comme le suggère Nicolas Qualander, que cela ouvrirait des possibilités de recomposition des mouvements de résistance à l’impérialisme, lesquels trouveraient désormais leur expression à travers le Hezbollah libanais, le parti de Al-Sadr en Irak ou les Frères musulmans égyptiens, et se trouveraient renforcés par l’axe Damas-Téhéran... Plus simplement, la décomposition du Fatah - qui symbolisa longtemps les courants en rupture au moins partielle, avec les régimes arabes à partir de la guerre des Six Jours, en 1967 -, au seul bénéfice d’une force religieuse et conservatrice, vient couronner une longue suite de défaites du nationalisme progressiste et de la gauche arabe.
La crise de perspective ne peut que s’en trouver approfondie en Palestine. De la stratégie de lutte armée qui prévalut jusqu’à l’échec de Beyrouth en 1982, à la gestion du processus d’Oslo dix ans plus tard, et à la militarisation de la deuxième Intifada qui aura conduit à l’épuisement de la lutte populaire, une double question n’aura pas trouvé de réponse viable : celle de la reconnaissance des droits fondamentaux d’un peuple, et celle de la coexistence de deux réalités nationales - palestinienne et israélienne - sur la même terre.
Entre un Hamas qui va devoir gérer sa nouvelle prépondérance mais dont l’horizon fait pendant à celui de l’ultrasionisme en Israël, un Fatah qui arrive au terme de sa trajectoire, et une gauche marginalisée parce qu’héritière de ses déroutes passées, le peuple palestinien voit s’ouvrir devant lui une phase de grandes difficultés.
Le mouvement de solidarité se voit dès lors fixer sa feuille de route : en conservant plus que jamais son indépendance, poursuivre le combat pour la souveraineté palestinienne - ce qui passe immédiatement par le refus de toute logique de punition de la population des territoires en raison de son vote -, et faire preuve de la plus extrême vigilance quant au respect de ses droits civils et démocratiques.
Christian Picquet
1. Rouge n° 2144.
Tag(s) : #Olivier Besancenot
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