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Le jour où José Bové a embrassé Tariq Ramadan... Une image symbole, celle de l'alliance improbable des islamistes et des alter-mondialistes. C'était au Forum Social Européen 2003...

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Il n'y en a eu que pour le prédicateur musulman au dernier FSE. S'il en a exaspéré certains, d'autres ont été subjugués par le personnage et son discours. Retour sur deux jours de marathon.

Youpi, c'est fini, il est parti » , jubilait, sautillante, Marie-Hélène, une des responsables du Forum social européen, après que Tariq Ramadan eut quitté la dernière des tables rondes auxquelles il avait été convié. Un soulagement de courte durée. Car les organisateurs ont vite compris que l'islamologue genevois avait tiré à lui la couverture médiatique de leur grand-messe, pour se hisser « superstar du FSE » , comme s'en vantent ses amis sur tariq-ramadan.com. Pis, ce qu'ils n'ont pas réalisé : le fondamentaliste musulman a réussi à organiser, dans un habile chassé-croisé avec le rendez-vous officiel, un « contre-forum islamique » que nul n'a décrypté comme tel. Le comble du parasitage. Aucun doute, pourtant : s'il y eut un off superposé au FSE, ce fut bien celui-là.

A l'instar des 1500 autres intervenants du forum, le théologien a martelé sa volonté de « changer le monde » . Mais, si l' « autre monde » promu par les altermondialistes a tout du gentil fourre-tout, celui de Ramadan, lui, est bien moins brouillon : il repose sur l'avènement d'une « citoyenneté musulmane » , selon ses mots. Explications sur tariq-ramadan.org: « La seule résistance organisée à cet Occident sécularisé, marchand, inculte [celui-là même que dénoncent les alters !] provient de l'islam, qui est, d'une certaine façon, inassimilable. »

Chaleureuse accolade avec Bové

Le FSE, donc, lui a offert une tribune pour « légitimer l'islam politique comme une alternative anti-impérialiste et anticolonialiste » , ainsi que le dénonçait un tract distribué par un collectif pour le droit à l'avortement et à la contraception et des associations lesbiennes. Conférencier marathonien, Ramadan a réalisé, en deux jours, un véritable parcours du combattant prosélyte.

Arrivé le jeudi 13 novembre de Suisse, il est dès le lendemain matin propulsé par la une que le Parisien lui consacre. Si haut qu'il va voler toute la lumière du FSE. Démonstration, aveuglante, à Ivry, dans une salle du cinéma Pathé, où se sont massés, outre un public barbu et voilé, nombre de curieux et plus d'une quinzaine de caméras. Sept cents personnes au total, moins attirées par le sujet, pointu (le rôle des religions dans le mouvement de résistance à l'ordre global), du séminaire-organisé par l'ultraradical Mouvement de l'immigration et des banlieues (MTB) - que parle sulfureux prédicateur. Ce dernier a beau feindre la discrétion en s'asseyant au bout de la table et balayer les applaudissements, la salle n'a d'yeux et de questions que pour lui. Les autres intervenants s'en agacent. « Vous n'êtes pas invités chez Tariq mais au FSE! » , rappelle le philosophe franco-argentin Miguel Benas-sayag. « Ce n'est pas la tribune de Ramadan » , s'emporte Esther Benbassa, historienne du judaïsme moderne. Dans la salle, les groupies s'enflamment. « Ramadan est une lumière. Il électrise les pensées et les coeurs » , lance, au premier rang, Saïd, qui se présente comme « fonctionnaire au ministère de la Justice » . A quelques rangées de là, une brochette de jeunes femmes voilées qui ont, l'an dernier, participé à un séminaire de réflexion sur les femmes organisé par « Tariq » , regardent ce séduisant théologien de 41 ans avec une ferveur gourmande : « C'est un frère pour nous, ses propos sont un véritable réconfort. » En vrai politique, le « frère » Ramadan, lui, souligne adroitement que « la République est laïque et sociale et ne doit pas, comme aujourd'hui, se braquer sur la laïcité sans régler le problème social » . Sa voix est posée, son oeil khôlé, sa posture élégante et sa gestuelle déliée. Mais une cinquantaine de jeunes barbus, le regard nerveux, sont répartis aux quatre coins de la salle. « Ça rappelle le service d'ordre de Le Pen, sauf que ceux-là sont basanés » , note une institutrice de Montreuil. Ils ne le quitter ont pas pendant ces deux jours.

Son propre service de sécurité. Que Ramadan a surajouté à celui du FSE. Comme il greffe, à la fin du débat, une conférence de presse pour expliquer une nouvelle fois qu'il regrette d'être l'objet de l'attraction médiatique. Ce qui ne l'empêche pas de se rendre, immédiatement après, à la Maison de la radio, à l'invitation du « club de la presse arabe » (sic), où une centaine de journalistes du mondé entier se pressent. Même flegme. Il se contente de prévenir : « Il va falloir vous y faire. Que vous le vouliez ou non, ces citoyens musulmans sont en train de sortir des ghettos. » Sourire. « La preuve ? Ils sont au FSE. Je ne suis pas le seul. »

Sitôt dit, il y retourne. Car son « contre-forum » ne se contente pas de toiser le FSE. Il le croise. Mieux : il se fait donner l'accolade. Sous le chapiteau de la Confédération paysanne, où il est attendu par un millier de personnes pour enregistrer l'émission « Là-bas si j'y suis » , de Daniel Mermet (sur France Inter), Ramadan reçoit l'adoubement - l'absolution?

- du maître à penser des alters bon teint, José Bové. Une accolade chaleureuse et appuyée devant un parterre de caméras ; une complicité que peu de médias ont commentée. Le père Christian Delorrne, qui a soutenu Ramadan avant de s'en éloigner, n'en sera pas étonné : ne voit-il pas, en Ramadan, « un Bové musulman à dimension internationale » ?

Plus entouré que l'original, du reste, si l'on en juge aux quelque 1300 personnes qui ont rempli la halle Venise-Gosnat d'Ivry, le samedi matin, pour la séance plénière du FSE consacrée au « racisme, xénophobie, antisémitisme » . Ramadan s'installe, encore, en bout de table, mais se place au coeur du débat, une fois de plus. Un silence « religieux » accompagne son intervention. Même la peu timorée Madeleine Rebérioux, historienne modératrice du débat, n'ose pas l'interrompre. Ramadan a ainsi réussi à vampiriser le forum en toute impunité. « Il ressemble à un prophète » , s'exalte Eva, une jeune fille blonde, tête nue. Rien n'aurait terni l'aura de Ramadan si des huées hystériques ne montaient pas des premiers rangs-de jeunes hommes à l'air pas drôle du tout et des demoiselles en foulardées - à chaque fois que quelqu'un, dans le public, osait parler du voile. Ramadan, lui, s'est bien gardé de polémiquer, évidemment.

Et aussi dans une mosquée...

Duplicité ? « Tariq a deux types de soutiens, décode Nouari, qui est de ses proches. Il y a les jeunes militants associatifs qui voient en lui le chaînon manquant pour accéder au monde politique : ceux-là traduisent son discours comme un discours d'affirmation. Et il y a des fanatiques en rupture totale avec la société qui traduisent son discours comme un discours d'opposition. Quand je l'ai rencontré voilà dix ans, j'étais dans l'opposition. Il m'a "défrustré". Preuve que Ramadan peut réconcilier ces deux fronts. » Voire. Le même Nouari ne met qu'un bémol à son admiration pour le guide des jeunes des banlieues : « Il s'enferme dans une confessionnalisation du politique. Il ne traite pas un thème sans le relier à la religion. C'est un problème. » Pause. « Il ne peut, il est vrai, s'aliéner la frange des intégristes dont il a besoin pour rameuter 1 000 personnes dans une mosquée en une heure. »

Ces 1000 fidèles ont rempli la mosquée en construction de Vigneux-sur-Seine, samedi après-midi, au moment même où les militants altermondialistes se demandaient, las, si Ramadan leur volerait encore la vedette à l'occasion de la manifestation dans les rues de Paris. Le prédicateur, qui s'est plu à laisser planer le doute, n'y est pas allé. Mieux que parader, il a préféré s'adonner à sa spécialité : , le prêche mi-religieux mi-politique. A Vigneux, les trois étages de la mosquée sont combles. Et pas un journaliste, bien sûr. Ramadan, qui n'est pas imam, harangue ses « frères » et ses « soeurs » plus d'une heure durant : « Si on se lève et qu'on travaille, on peut changer les choses. » Larecette? « Tu dois rester attaché au pays d'origine, mais il te faut connaître la langue, les institutions et l'histoire de la France. Sois un citoyen musulman. » Le propos est ponctué de citations en arabe du Coran, immédiatement traduites. S'ensuivent quinze minutes de prière. Puis arrivent les questions, écrites, cette fois. La première n'a rien d'une coïncidence : quid de la participation politique ? « Nécessaire aujourd'hui en France. » Le voile ? « La société doit l'accepter. Il faut que les femmes expliquent cet acte de foi. » Dix minutes d'invocations en arabe closent cette harangue politique, un doux chant religieux que la salle écoute tête baissée et paumes ouvertes ! Malgré son extrême complaisance, le FSE n'aurait pu tolérer pareille confusion.

Mais le contre-sommet ramadien ne pouvait s'achever sans un show pour séduire les ouailles de l'UOIF. Samedi soir, donc, une fois le jeûne rompu, Ramadan s'en est allé les retrouver à La Cour neuve pour palabrer sur la « pudeur » . Là encore, pas un journaliste. « Ma présence ici est exceptionnelle » , a-t-il souligné. Ecarté du processus d'institutionnalisation de l'islam en France (la nationalité française lui est refusée), Ramadan était venu prouver à l'UOIF qu'il touchait au but: devenir le médiateur de la communauté musulmane de France. « Ramadan et l'UOIF, c'est une convergence de fond, mais une divergence tactique » , estime un proche du prêcheur. L'un flirte avec la gauche mouvementiste ; l'autre avec l'Etat. « Nous sommes une institution ; Tariq est seul » , commente-t-on à La Courneuve.

Une solitude peuplée et triomphante qui l'a poussé à la faute : débattre en direct sur France 2 avec Nicolas Sarkozy, un professionnel de la politique, qui l'a, en pleine lumière, enserré dans ses contradictions. Tout à coup, Ramadan était contraint de sortir de l'ambiguïté... à ses dépens

Anna Bitton
(Marianne - n° 344 Semaine du 24 novembre 2003 au 30 novembre 2003 - Marianne)

Tag(s) : #José Bové
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