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Parce que " Marianne ne peut pas être voilée ", au Congrès du PS de Dijon, Laurent Fabius décide de mettre l'accent sur la laïcité.
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Nous devons être clairs, plus clairs sans doute que nous ne l’avons été et préciser ce que j’appelle « le pacte laïc ». La vraie question à laquelle on doit répondre est celle-ci : veut-on ou non intégrer tous les Français, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, croyants ou non, quelle que soit leur origine et leur couleur de peau ? Un jour viendra, à Dijon comme ailleurs, où la Marianne de nos mairies prendra le beau visage d’une jeune française issue de l’immigration, Marianne ne peut pas être voilée. Ce jour là, la France aura franchi un pas en faisant vivre pleinement les principes de la gauche qui donnent chair à la République : la liberté, qui n’est pas le libéralisme économique ; l’égalité, qui n’est pas seulement l’équité ; la fraternité, qui n’est pas la charité ; la laïcité, qui n’est pas le communautarisme.
Chers amis et camarades,
Notre congrès de Dijon nous fixe pour les trois ans qui viennent au moins trois grandes tâches. La Réforme, oui ; la Régression, non .
La première, c’est de nous opposer fermement au gouvernement et à son véritable chef, le seul que se reconnaît la droite, Jacques Chirac. La situation des Français en effet se dégrade et ce « grand prometteur », désormais à la tête de tous les pouvoirs, en est le premier responsable. C’est donc là notre devoir.
Tensions sociales profondes - on le voit massivement cette semaine - avec ce que ce gouvernement-propagande appelle une « réforme » des retraites, mais qui est en réalité une régression : travailler plus pour toucher moins. Si le Gouvernement est si sûr de lui, qu’il informe donc chaque Français, individuellement, avant l’examen législatif du projet, des conséquences concrètes sur sa retraite ! Ce serait cela la transparence. C’est la demande démocratique que je formule. Et pourquoi pas, si notre Congrès en décide ainsi, sur ce sujet de société, une proposition de notre part d’un référendum sur les retraites ? Nous avons fait les calculs : ils sont accablants pour beaucoup des futurs retraités. C’est pourquoi nous devons nous opposer fermement à ce projet. Après les retraites, la sécurité sociale et l’assurance maladie seront la prochaine cible, nous devrons refuser ces démantèlements. Marasme économique : le chômage est en hausse, les finances en baisse, la croissance en panne, la confiance en berne. Ecole en crise : portant le même nom illustre mais pas les mêmes valeurs, à 120 ans de distance deux ministres, l’un fondateur et l’autre démolisseur ! Les enseignants ont compris que l’éducation nationale, ce Président et ce Gouvernement ne l’aiment pas. Enfin, difficultés européennes : J. Chirac, donneur de leçons à la terre entière, nous fâche avec plusieurs de nos voisins, sans bénéfice et sans dessein.
Et voici que ce « grand prometteur » laisse annoncer par ses proches qu’il envisagerait un troisième mandat. Pourquoi pas - ce serait plus simple - une Présidence à vie ? Voilà que l’Assemblée législative élue en 2002 se prend pour une Constituante. on devrait dire une destituante : car ce que la droite met en cause, ce n’est pas une série d’aspects ponctuels, c’est la plupart des fondements économiques, éducatifs et sociaux et de l’état sur lesquels s’est développée la France depuis la fin de la guerre. La réforme, oui ; la régression, non. La régression est générale, avivant l’inquiétude et la défiance des Français : notre opposition doit être frontale.
Renforcer, Rénover, Rassembler .
Notre deuxième tâche, c’est de renforcer le PS et la gauche. Parce que le PS est le pilier de l’alternance nécessaire. François Mitterrand, dont on redécouvre qu’il fut un grand architecte pour construire les grandes victoires, avait fixé la démarche, elle reste juste, même si elle doit s’adapter au nouveau contexte : d’abord rassembler les nôtres, pour ensuite convaincre et rassembler les autres.
Les nôtres ? Cela implique avec François Hollande d’améliorer le fonctionnement de notre parti et de rénover à tous les niveaux nos équipes, notamment par la nomination de femmes et d’hommes représentant mieux la diversité de la France. D’écouter davantage les militants, comme toutes les motions l’ont souhaité. D’être plus en prise avec les attentes de l’électorat populaire, dont une partie nous a quittés. Et de jouer collectif.
Cela implique de développer le dialogue avec nos partenaires, présents dans ce Congrès et que je salue : partenaires européens et internationaux, car tout socialisme est désormais nécessairement un social-mondialisme ; partenaires politiques, sans arrogance de notre part, avec lesquels nous devrons passer contrat ; forces vives de la société, sans confusion des responsabilités. Démarche permanente de dialogue, d’écoute et d’ouverture : ainsi se prépareront les futures victoires.
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Chers camarades,
L’expérience que nous avons vécue autour de Lionel Jospin et avec lui nous a montré que, même quand il comporte d’excellents éléments, et quelle que soit la qualité remarquable du candidat, on ne gagne pas une élection sur un bilan. On peut gagner sur un projet, socialiste, et sur des valeurs. Voilà notre troisième tâche, sur laquelle les Français nous attendent : bien définir en ce début de siècle notre identité et notre projet.
Ils tiennent pour moi en quelques mots, qui sont autant de drapeaux : la justice sociale, l’école de l’égalité des chances et de la formation toute la vie, le développement durable (dès lors qu’il n’est pas simple affichage mais choix authentique comme le demandent les écologistes), la solidarité européenne et une autre mondialisation face à l’hyper puissance américaine et à l’hyper myopie des marchés. J’ajouterai : la laïcité. Chacun de ces thèmes mériterait de longs développements. J’ai choisi de retenir le dernier. Pourquoi ?
Marianne ne peut pas être voilée .
Parce que la laïcité est une des valeurs fondatrices de notre République et qu’elle est particulièrement actuelle face aux intégrismes religieux et aux déchirures de notre société. Combien de conflits dans le monde provoqués ou aggravés par la confusion entre religion et politique ! Or, au moment même où elle se montre si nécessaire, cette laïcité est chez nous mise en interrogation et même mise en cause.
Des exemples ? Il y en a beaucoup. Le voile, mais pas seulement. En maternelle, ce sont - à peine croyable - des petits qui refusent de faire la ronde parce que leurs parents leur ont inculqué que garçons et filles ne doivent pas se toucher la main ! Ce sont des enseignants qui ne peuvent plus faire cours sur l’affaire Calas de Voltaire, sur les lois de l’hérédité, sur l’affaire Dreyfus, sur la Déclaration des droits de l’homme, parce que, sur une base religieuse et idéologique, un de leurs élèves les menace et les conduit parfois à se censurer. C’est un ministre qui tient des propos d’ailleurs pertinents sur la laïcité, mais benoîtement devant une assemblée où les femmes ont dû pénétrer par des entrées spéciales et sont séparées des hommes. C’est une discussion qui a lieu pour bâtir la future Constitution Européenne et où plusieurs voix demandent - sans susciter grande réaction - qu’on définisse l’Europe par sa filiation religieuse. Et que dit-on en très haut lieu ? On élude, on répète qu’il faut « faire preuve de sagesse » et on choisit le cas par cas. Fort bien ! Mais alors, où est la ligne directrice et le projet pour la France ? La République ne se définit pas au cas par cas.
Je crois donc nécessaire que nous, socialistes, réaffirmions deux ou trois choses simples.
. D’abord, que la France est une République, une société de droits et de devoirs, que parmi eux il y a la laïcité et que celle-ci est indispensable si on veut réussir, comme nous le voulons, l’intégration de tous ses membres qui sont des citoyens libres et égaux et non des sujets de telle ou telle confession .
. Ensuite, que la laïcité n’est pas une croyance parmi d’autres, une opinion parmi d’autres, mais ce qui permet à toutes les opinions de co-exister au lieu de se combattre. Depuis près de 100 ans, dans le cadre de cette laïcité, l’Eglise est séparée de l’Etat. L’Etat, c’est la société des femmes et des hommes entre eux ; l’Eglise, c’est la société des femmes et des hommes qui le souhaitent avec Dieu. Pas question de revenir sur cette séparation. D’autant moins que se développent des intégrismes au sein de plusieurs églises, et que l’actuel Gouvernement fait beaucoup, malheureusement, pour affaiblir les moyens et les serviteurs de l’Etat.
. Enfin, l’école n’est pas un espace parmi d’autres, mais là où tout se joue, le lieu même où avec les enfants s’élabore la citoyenneté. L’école républicaine ne peut pas devenir le terrain d’expérimentation de ceux qui confondent politique et religion.
 
Il en résulte que nous devons être clairs, plus clairs sans doute que nous ne l’avons été, dans nos discours et nos attitudes sur ce sujet. Nous devons bien préciser ce que j’appelle « le pacte laïc ». Oui, chacun a le droit de pratiquer librement son culte et dans un cadre digne, ce qui n’est pas toujours le cas - loin s’en faut - en particulier pour les musulmans. Si la laïcité exige que la République ne reconnaisse aucun culte, elle lui impose aussi de n’en méconnaître aucun. Il faudra donc trouver (Etat et élus) des dispositions pratiques pour que - dans le respect de la loi de 1905 votée sur le rapport de Jaurès - ils puissent pratiquer ailleurs que dans des caves.
Mais oui, aussi, il faut mettre fin aux ambiguïtés qui ont pu exister à propos du port des insignes religieux. Il y a plus de dix ans, dans un contexte différent, nous avons cru possible et de bonne foi de nous en remettre au Conseil d’Etat pour trancher. Malgré sa qualité, ce n’était pas son rôle. On a abouti à une casuistique peu tenable où les chefs d’établissements et les enseignants sont placés en première ligne, censés appliquer une règle qui n’a en réalité guère de clarté et les renvoie à leur propre appréciation subjective. C’est aux politiques de prendre leurs responsabilités. A nous donc de dire que, autant dans la sphère privée chacun est libre de pratiquer sa foi comme il l’entend sous réserve du respect des lois, autant dans l’espace public - donc d’abord à l’école publique - les signes religieux ostentatoires n’ont pas leur place, ce qui vaut pour le voile comme pour la kippa comme pour la croix ou tout autre symbole de toute autre religion. Je crois juste et nécessaire de proposer qu’une loi, après les consultations utiles, exprime cette règle qui sera la stricte application, conforme au droit, du principe de laïcité. Pour nous, la foi doit être scrupuleusement respectée, mais la foi ne remplace pas la loi.
Cela soulèvera des difficultés ? Peut être. Mais moins que de laisser se développer des germes d’intégrisme, avec les conséquences que cela aurait sur tous les plans, y compris en faveur de l’extrême droite. Il faudra négocier, dialoguer, certes, mais au moins le fera-t-on sur la base de principes clairs.
ertains diront que cette règle risque de se retourner contre les jeunes filles des quartiers populaires ? Je crois exactement l’inverse, car, quoiqu’on dise, le voile constitue une atteinte à l’égalité entre les sexes et tout signe de faiblesse de notre part conduirait les femmes à devoir céder tôt ou tard sur leur liberté par rapport à la pression des hommes ou de prétendus grands frères. Cela singularisera-t-il la France ? Tant mieux si cette singularité, contagieuse, est celle de la liberté ! Des militantes d’autres pays ont dû s’exiler ou ont été tuées pour ne pas porter le voile, et nous abandonnerions ici le combat, nous, au prétexte du droit à la différence ! Alors que nous savons bien que, poussé à l’excès, celui-ci aboutit à la différence des droits.
En réalité, la vraie question à laquelle on doit répondre est celle-ci : veut-on ou non intégrer tous les Français, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, croyants ou non, quelle que soit leur origine et leur couleur de peau ? Avons-nous ou non confiance dans la capacité intégratrice de notre nation ? Parce qu’ils veulent asseoir leur emprise, certains misent sur un développement séparé des communautés. Telle n’est ni notre conviction, ni notre projet. Pour nous, la seule communauté que reconnaît la République est la communauté nationale. Nous voulons l’intégration, nous la croyons possible. Mais pas une intégration au rabais, assortie d’une relégation à vie dans des quartiers périphériques ou dans des conditions sociales misérables. Il s’agit que chacun, quelle que soit son origine, sa confession, sa couleur de peau puisse accéder au meilleur que peut donner la République. Non pas la République de l’inquiétude mais la République de l’espérance. L’interdit ne suffit évidemment pas. Cela suppose - et il y a beaucoup à faire - la fin des discriminations pour l’emploi, le logement, les loisirs. Cela suppose des Françaises et des Français issus de l’immigration au Gouvernement et il est dommage que la gauche se soit laissée précéder par la droite sur ce point. Mais aussi dans nos grandes écoles, à des postes de responsabilité dans l’entreprise, à la télévision ou pour représenter la Nation, dans nos mairies et au Parlement, et d’abord à tous les niveaux de responsabilité de notre Parti.
Nous voulons et nous proposons la pleine égalité des devoirs et des droits, et un Etat exemplaire. Plus la société sera diverse, plus nous aurons besoin pour vivre ensemble, de ce principe, émancipateur et unificateur qu’est la laïcité. C’est cela le pacte laïc.
Un jour viendra, à Dijon comme ailleurs, où la Marianne de nos mairies prendra le beau visage d’une jeune française issue de l’immigration, Marianne ne peut pas être voilée. Ce jour là, la France aura franchi un pas en faisant vivre pleinement les principes de la gauche qui donnent chair à la République : la liberté, qui n’est pas le libéralisme économique ; l’égalité, qui n’est pas seulement l’équité ; la fraternité, qui n’est pas la charité ; la laïcité, qui n’est pas le communautarisme.
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Dans le musée des Beaux-Arts de Dijon, il existe plusieurs tableaux splendides de l’artiste portugaise Vieira da Silva. Si on les regarde de près, ils sont fait de figures diverses, formant une sorte de bigarrure. Mais lorsqu’on prend un peu de recul, alors c’est l’unité qui prévaut. Ces tableaux sont à l’image de notre Congrès. Divers, nous le sommes, militants portant chacun notre part de difficultés, d’expérience, d’espérance et en même temps c’est notre unité, notre idéal commun, qui fait notre force et qui doit nous donner confiance pour la reconquête. On nous dira : vous avez été durement battus il y a un an et déjà vous évoquez la reconquête, vous êtes bien optimistes ! Nous ne sommes pas optimistes, nous sommes déterminés. Un Congrès, c’est toujours le récit d’une histoire. L’histoire du Congrès de Dijon, c’est le début de la reconquête.
(Congrès PS de Dijon, 17 mai 2003)
Tag(s) : #Laurent Fabius
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